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Louis Marty

Membre des Rencontres de Montségur

L’Inquisition au XIII siècle par Louis Marty


Le 12 avril 1229, la signature du traité de Meaux met fin à l’insoumission de Raymond VII qui s’incline devant le Roi de France. La croisade contre les Albigeois, lancée dès 1209 par le Pape Innocent III, laisse un Languedoc marqué par le feu et le sang depuis deux décennies.

Les pouvoirs politiques des seigneurs sont limités, quant à l’hérésie cathare et à ses sympathisants, ceux-ci sont menacés et restent à la merci de la répression catholique soutenue par le pouvoir capétien. Le concile de Latran en 1229 organise la répression contre les hérétiques mais en raison du peu de résultat des moines de Cîteaux sollicités dans le Languedoc et devant le caractère d’urgence, c’est l’église de Rome qui intervient et envisage de confier cette mission aux Dominicains. En avril 1233, une série de bulles consacre officiellement la naissance de l’Inquisition, tribunal d’exception chargé de lutter contre l’hérésie.


Des pouvoirs spéciaux, une extrême violence

Un montpelliérain, Guillaume Arnaud et un Toulousain Pierre Cellan sont les premiers inquisiteurs désignés pour Toulouse en 1233. Arnaud Cathala pour Albi, Bertrand Ferrer pour Narbonne et Carcassonne, Bernard de St Pierre et Bernard de Caux pour le Lauragais et le Quercy. Dès cette date, ils disposent de pouvoirs spéciaux et manifestent une rigueur d’une extrême violence, allant jusqu’à l’exhumation des cadavres suspects d’hérésie pour les brûler ou jusqu’à porter une vieille femme agonisante de son lit, directement dans le feu.

Haïe, pour sa collusion avec le pouvoir royal et quadrillant le pays au point de faire de chaque villageois un suspect en puissance et de l’église des bons chrétiens une église du désert, l’Inquisition se roda et s’organisa d’une façon bureaucratique de plus en plus systématique dans un pays de juristes, gagnant en crédibilité après chaque récrimination. Codifiées par l’inquisiteur Bernard Gui dans son << manuel de l’inquisiteur >> au XIV siècle, ses procédures s’enrichirent du droit romain comme du droit coutumier en usage dans le pays, et auquel les toulousains tenaient tant.

Après la disparition de la dynastie comtale des Raimon, l’appui des pouvoirs publics – sénéchaux royaux à Toulouse et à Carcassonne – assura à l’Inquisition une terrifiante et absolue liberté de manœuvre. L’objet des enquêtes était simple : repérer par le jeu des recoupements des témoignages, tous les religieux clandestins, tous les ministres et prédicateurs de la religion dissidente. Les registres d’interrogatoires ou de dépositions fonctionnaient à ce titre comme de véritables fichiers faisant ressortir des noms, des lieux des dates. Chaque Bon homme ou chaque Bonne femme repéré(e), arrêté(e), était livré(e) systématiquement « au bras séculier », c’est - à dire livré(e) au bûcher. S’il abjurait, il encourait des moindres peines : la condamnation au ‘mur’, la prison, perpétuelle ou non, ‘’stricte ou non ‘’ (le mur strict correspondait à une peine de mort déguisée) ; s’il acceptait de collaborer avec l’Inquisition, il recouvrait la liberté, mais sous la protection des religieux auxquels il devait des comptes.


Obliger la population à vivre dans la terreur

Le principe était simple, soumettant les prévenus à la délation, à l’autocritique et au repentir au nom des valeurs sacralisées, drapant l’arbitraire dans un droit religieux et systématisant les méthodes policières, elle permit à l’institution inquisitoriale médiévale, d’obliger la population à vivre dans la terreur, même si elle tue rarement et ne torture pas encore. Protégé par le pouvoir monarchique, à la fois confessionnal obligatoire et tribunal sans appel, elle fut en effet redoutée et détestée par les populations médiévales concernées, comme l’instrumentation d’un tribunal se réclamant du droit divin pour juger les vivants et les morts jusque dans l’au- delà et pour l’éternité.

Les juges étaient d’abord des religieux chargés d’entendre en confession les populations adultes des villes et des villages -hommes de plus de 14 ans et femmes de plus de 12 ans - afin de les absoudre de tous leurs pêchés d’hérésie et de les réconcilier à la foi du pape et du roi, de les réintégrer dans la communauté chrétienne hors de laquelle il n’y aurait ni de salut ni d’espérance.

L’Inquisition ne se donna pas pour mission d’exterminer le peuple des croyants. Les croyants représentaient des témoins en puissance, des instruments destinés au repérage des Bons hommes clandestins. Bien entendu, on faisait ce qui fallait pour les réconcilier avec l’église de Rome et pour les intimider, on exigeait dans leur confession d’avoir adoré des hérétiques, d’avoir mangé le pain béni avec eux, d’avoir assisté au consolament ou à d’autres cérémonies.

Les peines pénitences encourues s’échelonnaient du port des croix d’infamies jaunes cousues sur les vêtements, à la confiscation des biens et à l’emprisonnement au mur. En cas de relaps, par-contre, la sentence était la mort, réservée aux hérétiques obstinés, les registres des dépositions en permettaient le contrôle. Lorsque le notaire d’un inquisiteur avait consigné par écrit une première repentance, on pouvait sur dénonciation d’un voisin, comparaître de nouveau devant l’inquisiteur et être condamné au bûcher, la procédure étant fondée sur la délation. Le but fut la mise à mort d’une religion par élimination de ses pasteurs et le démantèlement de ses réseaux de solidarité.

L’Inquisition fonctionna non pas comme une machine à tuer, mais comme la contre –attaque idéologique d’un pouvoir religieux dominant, cherchant à s’implanter. Seulement, elle ne se trompa pas de cible et prit tous les moyens pour ne pas la manquer. Répression sélective, terreur généralisée, délation érigée en système, furent en plus soutenues par une pastorale neuve de l’église romaine parmi les populations à ré-évangéliser par les frères prêcheurs et mineurs qui avaient su calquer leurs silhouettes sur celle des bons hommes dont on avait gardé le souvenir, répression et pastorale totalement soutenues par la force publique.


Terroriser les populations croyantes, décapiter les prédicateurs de l’église interdite

A partir du milieu du XIII siècle, la chute de Montségur, dernier grand bûcher collectif (200 brûlés environs), fit disparaître tout ce qui restait de la hiérarchie de l’église cathare dans le midi de la France et du dernier grand espoir de retournement des armes. L’Inquisition et les ordres mendiants finirent par avoir raison d’une religion soutenue par la simple ferveur populaire, dans un pays ou le pouvoir avait changé de camp. La répression durera jusqu’à la fin du XIV siècle.

L’Inquisition du XIII siècle brûle moins cependant que pendant les années de croisade. La condamnation par le feu vise seulement à éliminer les éléments perdus pour la chrétienté. Comme ce bûcher vient après une enquête personnalisée, c’est individuellement qu’elle ordonne ces condamnations. Elle brûle les hérétiques un à un ou par petits groupes, jusqu’à une vingtaine de personne en général. Le but de l’Inquisition, c’est de terroriser les populations croyantes, de briser les réseaux de clandestins et de décapiter les prédicateurs de l’église interdite. Elle n’hésita pas cependant à déporter des villages entiers : Verdun en Lauragais, Le Born, le Prunet et Montaillou vers ses interrogatoires et ses prisons.

Et c’est un fait, après 1250 on ne voit pratiquement plus de Bons hommes et encore moins de Bonnes femmes de l’église cathare. Les uns après les autres ont été pris et brûlés.

A la fin du XIII siècle, l’Inquisition a le sentiment d’avoir accompli sa mission. Ce qu’elle évalue mal, c’est l’intensité des braises au fond des consciences croyantes, et, c’est aussi le poids des églises cathares réfugiées en Italie.

Au XIV siècle, l’Inquisition montre un caractère beaucoup plus déterminé que la première Inquisition. Totalement dénuée de pitié, elle emprisonne à vie sur simple dénonciation des familles entières et l’on brûle plus facilement les croyants relaps. Pour l’église de Rome, il s’agissait d’écraser la moindre braise, de capturer et de mettre hors d’état de nuire les petits groupes de parfaits par lesquels passaient l’enseignement et les actes sacrés (imposition, consolament) afin qu’il n’existât plus d’église hérétique.


De Torquemada à Vatican II

On a souvent tendance à confondre l’Inquisition dominicaine du XIII siècle, avec celle de l’Espagne de Tomàs de Torquemada et de ses successeurs au service des rois catholiques, qui s’en prenait à peu près à tout ce qui bougeait : les Juifs mal convertis qui retournaient au judaïsme, les Sarrasins qui retournaient à l’Islam, ainsi que leurs descendants qui étaient considérés comme des nouveaux chrétiens sur plusieurs générations. On peut ajouter les sorcières, les impies et tout ce qui dérangeait le pouvoir royal. Les mains d’Isabelle la Catholique sont dégoulinantes du sang de toute une population innocente. Est-ce pour cette raison que sa canonisation par église romaine est d’actualité ?

L’Inquisition de Torquemada, bien que mise en œuvre par les Dominicains d’Espagne est d’autorité royale, pas celle de Bernard Gui ou de Jacques Fournier qui ne prenaient les ordres que du Pape, épaulé par le roi de France.

L’Inquisition médiévale créée en Languedoc a disparu au XVI siècle progressivement après s’être tournée vers d’autres formes de violences, de marginalités. La brutalité de l’Inquisition espagnole a fortement marqué les esprits des Lumières et continue de frapper les consciences jusqu’à aujourd’hui. Le déclin de l’institution et de son activité malgré des soubresauts tristement célèbres, comme les condamnations de Galilée, de Giordano Bruno ou du peintre Véronèse, sera réel en Espagne et en Italie au XVIII siècle avant sa suppression en Espagne en 1834. En 1908 l’Inquisition devient officiellement la Congrégation du Saint Office, terme utilisé depuis le pontificat de Paul III (1534- 1549) à la suite de la réforme de 1542 et préférable à l’Inquisition. En 1917 l’institution est confiée à un cardinal mais ne disparaît pas pour autant. Ainsi la congrégation condamne, des ouvrages de Sartre (1948), ou de Gide (1952) ou encore de Simone de Beauvoir (1956).

Il faudra attendre le concile de Vatican II (1962- 1965) pour voir une ultime réforme, avec la création de l’actuelle Congrégation de la Doctrine de la Foi, compétente sur les points de doctrine et les mœurs, mais aussi habilitée à condamner symboliquement les productions écrites, discutables sur l’orthodoxie romaine, ainsi que les pièces de théâtre et les productions cinématographiques.

La repentance de l’église romaine sur la réalité cruelle de l’Inquisition, ne doit cependant pas effacer des siècles de féroces et aveugles répressions et les actes peu glorieux de ses serviteurs.


©Louis Marty.

Louis Marty vit à Rabastens(81). Membre du CA de Rencontres de Montségur, il a également rédigé un article sur « La femme cathare » et dans la série Résistances : « La révolte des vignerons de 1907 » à paraître.


Sources ( via A. Cazenave et P. duCome)

Collection Doat, copies manuscrites du XVIIéme s,. B.N.F, vidimus, T.XXXIV –Les. interrogatoires sur Montségur sont principalement contenus dans le T.XXIV, Jean Duvernoy les a collectés, traduits et présentés dans Le dossier de Montségur. Interrogatoires d’Inquisition, 1242-1247, éd. Pérégrinateur, Toulouse, 1998.

Yves Dossat « Les crises de l’Inquisition toulousaine, 1233-1273 » Bordeaux, 1959. - « Église et hérésie en France au XIIIe siècle » Variorum, 1982.

Célestin Douais, La Somme des autorités à l’usage des prédicateurs méridionaux, Paris, 1896; Saint Raymond de Penyafort et les hérétiques, directoire à l’usage des inquisiteurs aragonais, 1242, Paris, 1899 ; Documents pour servir à l’histoire de l’Inquisition dans le Languedoc, Paris, 1900. 

Nicolas Eymerich Manuel de l’inquisiteur, Directoire des Inquisiteurs (Directorium Inquisitorum), adapté par Francisco Peña en 1578 : Nicolas Eymerich et Francisco Pena Manuel des inquisiteurs, Intr., trad. et notes de Louis Sala-Molins, Paris, Albin Michel, 2002.

Bernard Gui Manuel de l’inquisiteur - éd.et trad. Guillaume Mollat, Paris, les Belles Lettres, 1964.(Practica Inquisitionis hereticae pravitatis, rédigé entre 1319 et 1323)

Le Livre des sentences de l’inquisiteur Bernard Gui,1308-1323, trad..Annette Pales-Gobilliard, Paris, C.N.R.S., 2002.

- Liber sententiarum (Livre des sentences) recueille les actes de 11 sermons généraux (appelés sermo generalis) et ses 916 décisions de justice prises, pendant son mandat d'inquisiteur à Toulouse, contre 636 personnes (décisions individuelles ou concernant toute une communauté)

André Morellet, Abrégé du Manuel des Inquisiteurs,1762

Francisco Bethencourt, L'Inquisition à l'époque moderne (Espagne, Portugal, Italie : XVe-xixe siècle), Fayard, Paris, 1995. Jean-Pierre Dedieu1492-1992, les deux éveils de l'Espagne, presses du CNRS, 1991

Le bûcher de Monségur durant la croisade des Albigeois (massacre des Cathares)

Dessin de Emile Bayard.

 

L'inquisition contre les Cathares

 

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